Graffiti contre culture – Le graff reservé à la jeunesse?
Gros malaise à la Française. A l’instar des piétons sur le trottoir et des voitures sur la route, il a été urgent, pendant la grande période du writing en France, de trouver une case dans laquelle on pourrait ranger cette pratique. Cette catégorie est bien entendue celle de la jeunesse et trop peu souvent celle de la culture.
Étouffer le feu.
Gros malaise, oui, car les jeunes d’autrefois ont bien grandi. Le graffiti est arrivé de façon excessive en France dans les années 80 et a connu un boom certain jusqu’au milieu des années 90. Pouvoir d’achat, consommation moins massive mais plus généreuse quant aux hobbies, sorties et déplacements, pénalisations moins extrêmes, furent un tremplin propice au développement des différents mouvements du graffiti.
La culture populaire, de son côté, nous présentait un Bart Simpsons au summum de sa superbe contrôlant son skate et son aérosol dans un mouvement subtil sur la boite de Bart Vs Space Mutants, ou encore un Prince de Bel Air en plein bombing sur un mur déjà bien attaqué, héros dans son propre générique. D’aucuns, jeunes que nous étions ne pouvions affirmer que cela n’était pas cool!
Les gens de notre associations (trentenaires), avaient la chance de pouvoir suivre les anciens writers, bien plus puristes, radicaux et violents que nous dans leurs pratiques, lorsque nous étions adolescents. Quelques ateliers ça et là dans les MJC nous permettaient d’aller à leur rencontre facilement.
La plupart de ces anciens ont soit arrêté complètement la pratique, ont disparu ou ont, pour beaucoup d’entre eux, eu un gros ras le bol de tous ces ateliers avec des jeunes. A nous de prendre le relais, génération beaucoup moins puriste et certainement moins passionnée avec des jeunes encore moins motivés. Dans notre microcosme communautaire qu’est le graffiti, il nous arrive souvent d’en discuter et la même conclusion revient en permanence : La méthode de travail que la société civile nous impose, pour que notre propre pratique soit possible légalement, nous fait perdre le feu sacré. Nous avons l’impression de subir notre passion. Le graffiti, bien qu’omniprésent aujourd’hui, bien que toléré dans la conscience collective sous certaine formes, se meurt de l’intérieur. Beaucoup d’artistes se retirent et se (re)marginalisent dans leur pratique, se renferment, lassés de n’avoir servi que d’animateurs pour des services jeunesse.
Déni Culturel
Pour comprendre la façon dont la pratique est perçue, un exemple concret s’avère fructueux.
En 2011, Daddy Spray, membre de l’association se rendait souvent à la gare de Lens pour attendre un proche. A chaque fois, en sortant de la gare, il apercevait juste en face, la façade de l’ancien cinéma apollo, seul vestige du célèbre complexe cinématographique de la ville. En dessous de la façade, se tenait un mur en parpaing soutenant un décor sans fond. Un matin, dans un journal local, il aperçut un article traitant de la désolation du maire et député de l’époque concernant l’impossibilité de détruire cette façade. Ce dernier montait au créneau contre l’architecte des bâtiments de de France. Ni une, ni deux, l’élu recevait le soir même dans sa boîte mail une proposition de peinture sur les parpaings, qui eux, n’étaient pas classés. Ce mail fut très bien reçu! En effet, le lendemain, un message vocal du maire informait Daddy Spray de se mettre en relation avec une personne de la mairie.
Après une prise de rendez-vous, quelle stupéfaction de voir que l’on était tombé au service jeunesse de la ville. En quoi peindre ce mur relevait-il de la jeunesse? Pourquoi pas le service culture? Ou urbanisme? Non insatisfaits d’avoir un premier contact en mairie, nous nous sommes pris malgré tout au jeu.
Aujourd’hui en 2016, après 5 ans et de nombreux projets autour du graffiti main dans la main avec une municipalité de plus en plus ouverte à la pratique le constat reste alarmant : Nous n’avons travaillé aucune fois en direct avec le service Culture! Tous nos projets ont inclu une réalisation avec des jeunes plus ou moins grands, et avons donc mis notre savoir faire, notre culture de côté pour des fresques exclusivement adaptées à la jeunesse.
Cette histoire, vous pourrez l’entendre de façon similaire de la bouche d’autres acteurs du writing dans les différentes villes du pays. Le problème est le même que pour le skateboard, trop longtemps associé exclusivement à la jeunesse, le sujet est aujourd’hui traité à la fois par les services jeunesses et les services des sports des villes. Voilà pourquoi nous voyons apparaitre de nouveau skateparks dignes de ce noms ces dernières années dans nos régions.
Si certains pensent que le writing n’est pas un art, ou que ce ne sont que des gribouillis, libre à eux. Nous acceptons ces opinions, même si nous aimons en débattre. Cependant, nous gardons la conviction et militons pour faire entendre que le Writing est une culture à part entière. Toute pratique dotée d’un patrimoine, de conservateurs de ce patrimoine est indéniablement une culture. C’est le cas du writing. Il n’y a qu’à voir les fanzines, les blogs (Cap d’origine en est un bon exemple pour les curieux) pour se rendre compte qu’il est plus qu’urgent que les services culturels se réveillent! Notre culture est niée et reléguée à une passade de jeunesse intra-période rebelle.
Nous savons qu’aujourd’hui les municipalités jouent le jeu de bonne foi et ont bien compris que les cultures urbaines dont fait parti le writing sont source d’engouement. Il manque juste à faire accepter que notre pratique est multi-catégorielle et non exclusive à la jeunesse. Pour cela, nous devons conserver le bon travail fourni auprès de la jeunesse et faire la passerelle entre ces quatre catégories :
- Service Jeunesse pour continuer ce qui a été entrepris auprès des jeunes et susciter des vocations.
- Service Culture pour permettre aux Writers autonomes de pratiquer légalement, ainsi que de promulguer des fresques de qualité en ville.
- Services Environnent/Urbanisme/Patrimoine pour élaborer ensemble un travail de recherche, de classification et parfois même de préservation de certaines œuvres du writing. Également pour prévoir des fresques adaptées aux lieux.
Stop aux One Shot
Lorsque nous réalisons une fresque avec un groupe de jeunes, nous créons deux types de frustrations:
- La frustration de celui subit l’activité sans s’y intéresser vraiment. D’innombrables projets, dans lesquels nous avons eu à gérer un groupe de 25 jeunes dans lequel seuls 5 ou 6 jeunes étaient motivés pendant que les autres regardaient l’heure tourner…
- La frustration de l’intéressé qui n’aura l’occasion de peindre que quelques minutes dans la journée en raison du groupe trop important. Le jeune n’aura pas d’autres occasions de peindre pendant très longtemps et cela lui laisse une impression de quête inachevée.
Entendons-nous bien : Nous avons bien conscience que c’est un beau discours de dire que les jeunes ont réalisé tous ensemble une fresque, mais dans les faits, le message est à la fois hypocrite et démagogique.
Il faudrait environ une quarantaine d’heures de pratique pour maitriser les bases et certaines subtilités de l’utilisation bombe de peinture, alors comment un jeune pourrait-il en un après-midi être capable de réaliser une fresque murale en compagnie d’une vingtaine d’autres à qui il doit faire tourner la bombe sans arrêt. L’activité graffiti qui leur est proposée devient alors une activité différente de celle de la veille et de l’autre du lendemain (Lundi Ping Pong, Mardi Graffiti, Mercredi Kayak…). Ce sont les fameux One Shot. Et 9 fois sur 10, une fresque est à la clé, cela signifie que les jeunes n’ayant pas les facultés d’utiliser la bombe de peinture ainsi que de se repérer dans l’espace pour la tracé d’une esquisse et encore moins pour le travail de finitions, sont relégués à un travail de remplissage. C’est un peu comme donner une manette de console débranchée à sa petite sœur pour lui faire croire qu’elle joue.
Notre association se positionne contre ce phénomène de zapping des activités, notamment pour la culture. Notre mission n’est pas d’occuper les jeunes, mais de réanimer et faire vivre notre passion, qui s’essouffle au fil du temps. Notre rôle n’est pas d’animer, mais d’intriguer, donner envie de peindre aux intéressés et le cas échéant transmettre notre engouement.
Quant aux jeunes
La meilleure façon de désintégrer une culture c’est d’en trouver son utilité. A chaque fresque One Shot, c’est le moral des troupes que l’on sape, c’est le graffiti que l’on tue. Nous proposons à tous les acteurs de la jeunesse de ne plus se voiler la face et de décider de reconnaître tous ensemble la légitimité du graffiti au 21ème siècle. Pour cela nous proposons deux façons de travailler :
- Des activités graffiti libres : Le but final n’est pas de réaliser une fresque, mais de permettre aux jeunes de peindre toute l’après midi avec des bombes de peinture tout en étant pilotés par un graffer compétent. C’est la meilleure façon pour eux, de progresser et d’envisager pourquoi pas une fresque plus tard, pour ceux qui restent motivés. Pour cela nous avons besoin d’un mur d’expression assez grand dans chaque ville, d’où l’utilité de notre projet fil rouge, un mur une ville. Pas de fresque pour cette fois, mais des jeunes beaucoup moins frustrés et un sentiment transmission accomplie pour le graffer.
- Une fresque oui, mais avec suivi! Une ou plusieurs séance(s) sur papier pour commencer et repérer les intéressés. Stop aux groupes de plus de 4 personnes par demi-journée : Mieux vaut 4 motivé(e)s que 30 jeunes qui ne savent pas ce qu’ils font là. Une fois la fresque réalisée, il est indispensable de mettre immédiatement à disposition des jeunes un mur d’expression libre pour qu’ils puissent continuer l’aventure seuls, sinon tout cela n’a servi à rien!
Bien entendu, nous continuerons à effectuer des One Shot malgré le fait que nous vous proposions systématiquement une autre façon de travailler, en espérant que les mentalités changent. Mais n’oubliez jamais que si l’on ne change pas rapidement de façon de travailler, il n’est pas impossible que le graffiti devienne opaque à toute institution d’ici peu, ce qui est déjà presque redevenu le cas.
Nous proposons des fresques et sous certaines conditions, des jeunes peuvent y participer. C’est comme cela que nous pourrons avancer de la meilleure des façons.
Quant à la culture
Les services culture doivent impérativement se réveiller et définir une politique de préservation du graffiti.
De nombreux artistes n’ont pas la possibilité de s’exprimer malgré le fait que leurs proches disent d’eux qu’ils ont de l’or dans les mains. Une municipalité, un département, une région doit mettre tout en œuvre pour mettre en avant le travail d’un de ces citoyens en lui donnant les moyens de faire mieux.
Cela commence par la mise à disposition de murs et découle sur la libre expression dans le cadre d’une confiance mutuelle plutôt que d’une obligation visuelle contractuelle.
Le graffiti est culturel, cela signifie que les collectivités doivent s’organiser pour l’archivage de tous les tags et graffitis, non pas pour constituer des dossiers à charge, mais bel et bien de garder une trace des réalisations de la plèbe, aussi disparates soient-elles. Le patrimoine culturel est ce que l’on en fait!
En conclusion
De la peinture sur des murs, un acte si innocent qu’il en est subversif dans l’imaginaire collectif. Donnez de la bonne pâtée à l’artiste et il aura bon poil!
4 réponses
[…] les mains, je le déconseille systématiquement. On en parle un peu dans l’article sur le graff, la jeunesse et la culture. On en demande parfois trop aux jeunes et il faut savoir faire la distinction entre une initiation […]
[…] Réaliser un graffiti sur un skatepark est une tâche aisée pour notre association, d’ailleurs nous avons également réalisé des fresques sur le skatepark de Lens. La rencontre avec les riders locaux est primordiale, car bon nombre d’entre eux deviendront un jour artistes du graffiti comme nous l’expliquons dans notre note Graffiti contre Culture. […]
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